Photos Victor Corolleur

Lassy King Massassy, artiste comedien
L’avocat des causes justes

Connaissez vous le meilleur album rap de l'année au Mali? Ne fatiguez pas vos méninges parce qu'il n'est pas encore sur le marché discographique. "Niokala so" (littéralement, le cheval de tige de mil, le cheval de bois, leurre), c'est son nom et il est signé de Lassy King Massassy, "LKM". Un jeune rappeur aux rimes cinglantes et aux messages poignants.

"Niokala so" ! Le cheval de tige de mil! Celui qui l'enfourche pour essayer de séduire les gens perd son temps parce qu'il se moque de lui-même. Voilà une philosophie qui explique le choix du titre du futur et premier album solo de Lassina Coulibaly dit Lassy King Massassy (LKM). "Ceux qui croient que les peuples africains sont dupes de leurs mensonges et de leurs discours démagogiques se trompent", explique la graine de roi (Massasy) pour justifier son choix. Un choix qui reflète assez l'engagement de ce jeune rappeur.

Niokala so, un album autoproduit à environ deux millions de FCFA (3.050,00 €), est beaucoup plus un pamphlet trempé au vitriol qu'une oeuvre musicale. Parce que l'engagement dépasse la révolte rapologique. Corruption, démagogie, mégalomanie, misère, disette, privatisation, religion, délinquance... sont naturellement aux menus des titres comme "Jamana Jô, Duwawu! Religion, Fabara, Yèlèma, Babayo, Ananà min...". Personne n'est épargnée. Aux jeunes, LKM rappelle qu'on ne peut pas bâtir une nation en ayant comme devise, "paresse et faiblesse". Il n'est pas non plus tendre avec "ces guides religieux qui prêchent dans l'arène politique".

Mais, c'est surtout les politiciens que le descendant de Biton Coulibaly ne peut pas du tout sentir. Plus qu'une révolte, "Fabara" sonne la charge contre une classe qui a fait de l'Afrique "le cancer de la terre". Les jeunes se délectent de ce discours engagé qui dénonce le "facho, macho, mégalo... source de fiasco. Tu ne donnes pas chère de notre peau. Ce n'est pas parce que le Congo Kinshasa a changé d'appellation qu'il sera une nation libérée favorisant la liberté d'expression et de circulation".
Une offensive justifiée parce que, "dans toute l'Afrique, c'est le gouvernement qui se régale. État de lois infernales et anormales avec des présidentiels illimités militant pour l'Ivoirité afin d'éliminer les opposants". Peut-on s'attendre à autre chose avec des "dirigeants sortis des sentiers battus du néo-colonialisme et de l'impérialisme. Des accablés d'insuffisance mentale qui pensent que tout ce qui est gouvernemental est désormais leur héritage et sèment la graine de la haine tribale et raciale".
Évidemment, on diagnostique mal les problèmes de l'Afrique parce qu'il n'y a pas "de guerre raciale ou tribale en Afrique, mais la myopie politique des régimes despotiques, semis civils... Des militaires et des dignitaires affairistes comme des marionnettes armées de baïonnettes utilisées pour immoler et dépecer pour servir le maître à penser... Des légions étrangères qui viennent sur le continent rien que pour s'emparer du commerce de l'or et de diamant".
Prêcheur dans le désert ? Vous en voulez davantage ?

Ne ratez donc pas Niokala so de Lassy King Massassy. Un album qui sera bientôt sur le marché et qui a tous les ingrédients de la meilleure oeuvre rapologique de l'année 2003 au Mali. Un opus sur lequel le messager a invité son épouse, Aminata Doumbia (une choriste de Salif Keïta), Tata Pound et Fatoumata Diawara connue sur l'écran pour être l'actrice principale de "Sya". Mais la grande: surprise que King réserve aux mélomanes, c'est l'irrésistible featuring avec Salif Kéita dans "Anana min", une reprise d'un hymne romantique du rossignol. C'est dire que LKM à ratisser large pour se donner tous les atouts lui permettant de réussir le parfait coup... d'artiste ! Le résultat est merveilleux, délicieux. Il ne pouvait pas mieux trouver pour marquer son grand retour sur la scène musicale après une éclipse de presque trois ans.

Parce que Lassy n'est pas un inconnu dans l'arène. Il figure parmi les précurseurs du rap au Mali avec .le groupe King Da Dja. Un groupe dont le premier album a été produit par Salif Keïta. Le rossignol s'était également chargé de leur promotion en Europe. Et c'est en France que le chemin de King s'est séparé de celui de ses camarades. "A la fin de notre tournée, ils ont fait le choix de rester. Mais, j'ai toujours pensé que mon destin est dans mon pays où je tire mon inspiration. Je veux être une référence pour la jeunesse malienne. Et ce n'est pas en Europe que je vais mieux appréhender leurs préoccupations et leurs attentes. Je suis donc revenu au bercail pour me mettre au service du peuple, de la jeunesse", explique le patriote.
Il a donc opté pour la difficulté parce que la France lui offre plus d'opportunités de succès que le Mali. Mais, qu'à cela ne tienne. Le Tonjon aime sa patrie. "Je suis fier d'être malien, d'être africain. Je suis un partisan de l'intégration et de l'Union africaine. C'est pourquoi je suis fier d'apprendre que mon pays est prêt à abandonner tout ou une partie de sa souveraineté pour la réalisation de l'Union Africaine. C'est l'un des rares acte positif des politiques", explique-t-il.
Malgré ce farouche engagement pour les causes justes, Lassy ne se veut pas un écorché vif. "L'énergie de l'engagement m'a été donnée depuis mon enfance. Il sera difficile pour celui dont les parents jettent de l'argent par la fenêtre de se tenir au micro. Ce qui n'est pas le cas de celui qui a presque connu toutes les misères du monde et qui était quotidiennement confronté à des situations révoltantes. Il sait ce que le peuple endure et est conscient de ses attentes. Il est donc bien placé pour défendre leur cause, être leur porte parole pour dénoncer, interpeller et revendiquer", déclare-t-il. Sa crainte aujourd'hui est de prêcher dans le désert. "Un jour j'écoutais mes chansons avec ma grand-mère. Elle m'a dit : "Lassy, tes prises de positions sont pertinentes. Mais, je crains qu'elles servent à changer la situation parce que les gens vont t'admirer, mais personne ne va agir. Une analyse pertinente de la part d'une vieille dame qui n'est pourtant pas une intellectuelle... Je crains qu'elle n'ait raison", s'inquiète t il.

Un artiste bien armé Titulaire d'un CAP en dessin bâtiment ainsi qu'un certificat en anglais et d'enseignement de la langue nationale bamanan, King Massassy a plusieurs cordes à son arc. Il a déjà fait ses preuves dans l'enseignement en enseignant, pendant cinq ans, dans une école expérimentale de Kati. Une expérience qui a accru ses capacités d'analyse. On comprend alors toute cette pédagogie qui se dégage de ses engagées compositions. Rappeur, enseignant, LKM est également un talentueux comédien. Ceux qui ont vu "Sékou Fasa" et "Le retour de Bougouniery" le savent déjà.
Dans cette dernière oeuvre, il interprète un jeune rappeur désireux de conquérir le coeur d'une fille à papa. Il n'est pas passé inaperçu aux côtés de comédiens confirmés comme Diarrah Sanogo "Bougouniery", Hamadoun Kassogué...
Une expérience de plus pour un jeune talent qui a presque trouvé sa voie. "Le théâtre m'a permis d'acquérir la maîtrise scénique. Avant, je savais captiver les fans du rap. Aujourd'hui, je suis capable de retenir l'attention de n'importe quel public une fois sur scène", confesse "Kini" C'est ainsi que son oncle, incapable de prononcer King, l'appelle dans la pièce). L'appétit vient en mangeant. Et cette première expérience a donné des idées à Lassy qui prépare actuellement un "one man show" (soliloque). Tout comme il est prêt à réaliser "une comédie musicale si l'occasion se présente". Lassy nourrit des projets à la mesure de son ambition d'être un artiste
accompli au service du peuple, des désoeuvrés, des opprimés, des chômeurs... des laissés pour compte du système.

King
se préoccupe beaucoup des jeunes qui sont désœuvrés et menacés par des fléaux comme les MST/Sida. "Avant de me marier, je faisais régulièrement mon test de dépistage. Et même marié, je continue à le faire avec ma femme qui ne voit aucun inconvénient à cela. L'indifférence des jeunes s'explique par le fait qu'ils ne sont pas sensibilisés à fonds. Un moment, j'étais content de voir des grands panneaux de sensibilisation sur le sida et les MST. Ils ont presque tous disparu. La sensibilisation contre une menace comme le sida ne doit pas être temporelle, elle doit être régulière, constante et sans relâche jusqu'à ce que les gens disent: on en a assez", conseille King.

Une graine de roi qui pense que le "Mali est le nid de paix de l'Afrique" qui ne doit pas laisser la pandémie hypothéquer ses potentialités de développement. Très élégant, il n'oublie pas son épouse, Aminata Doumbia "Mimi", une choriste qui sillonne actuellement le monde avec le crooner de Djoliba (Salif Kéita). En effet, le rappeur envisage de produire le premier album de sa compagne. Une oeuvre déjà entièrement enregistrée et mixée.

En attendant le coup d'essai de Mimi, Niokala so de King sera bientôt sur le marché. Et le souhait est que "les Maliens me montrent que j'ai été un messager fidèle qui a été à la hauteur de leurs attentes. Un porte parole qui ne s'est pas trompé sur leurs préoccupations". Mais, ce n'est pas en achetant des cassettes pirates qu'ils pourront le juger à sa juste valeur. Aussi rappelle-t-il que "si les mélomanes veulent réellement me soutenir dans mon engagement, ils doivent refuser de payer des cassettes pirates. Aujourd'hui, il est facile d'identifier les cassettes légales qui portent des stickers brillants". On n'aide pas un paysan en encourageant les voleurs à le dépouiller de sa récolte. Cela va de soi !

Moussa Bolly
Photos Victor Corolleur


2003 - Niokala so
King / MALI K7 SA

Tugna
Wanda Productions

 
P 03/03/2004