16.07.07
MANJUL, REGGAEMAN
Rasta sans frontières et héritier de la tradition jamaïcaine
du Dub, le Français Manjul tente sur ses œuvres une alchimie
inédite entre le reggae et les instruments traditionnels, surtout
maliens.«United voice of africa» ou «Les voix unies d’Afrique»
! C’est le titre du nouvel album de Manjul que le Mali K7 vient de
mettre sur le marché. Un album complet avec des rastamen comme Jahman,
Takana Zion, Mic Mo, Dreadlam, Ladji, Bishob et Dj Lion. Un opus qui entre
en droite ligne du concept Dub To Mali. Un reggae sur fond d’instruments
traditionnels comme la kora, le ngoni, la flûte, le balafon, la calebasse…
Et Manjul n’est pas à son coup d’essai parce que sa carrière
a toujours été une quête de soit à travers les
fusions musicales.
Multi instrumentiste et compositeur talentueux, ingénieur du son
et réalisateur inspiré, Manjul donne l’impression d’être
sur tous les fronts, avec l’une ou l’autre casquette. Mais,
comme le dit un confrère, «Manjul n’est pas seulement
un multi instrumentiste compositeur, ni un ingénieur du son bidouilleur
dans la plus pure tradition jamaïcaine, comme ses modèles Lee
Perry et King Tubby, maîtres du Dub. Le personnage, tout en discrétion
et en humilité, possède un charisme singulier : il respire
la sérénité, l’amour et libère les envies
des artistes».
L’enthousiasme suscité par le premier volume de Dub To Mali,
sorti fin 2005, l’a conforté dans sa démarche artistique
originale : s’approcher au plus près de la zone de confluence
entre la musique rasta et celle d’Afrique dont elle procède.
Installé à Bamako avec sa famille depuis presque cinq ans,
Manjul a pourtant longtemps a repoussé le moment de sa rencontre
rêvée avec l’Afrique, terre mythique des rastas. Il voulait
être surtout prêt pour ce pèlerinage.
Sur le parcours initiatique de ce Parisien de naissance, l’océan
Indien a fait figure de première étape. C’est là,
auprès des groupes reggae de La Réunion, Mayotte et Maurice
que la magie opère en premier. Après ses deux volumes d’Indian
Ocean In Dub, le voilà donc qui innove avec une nouvelle série
baptisée Dub To Mali. L’aventure commence avec Faso Kanou (l’Amour
de la patrie). Mélange des deux cultures ? «Plutôt une
confluence», corrige le rasta. Il se fait plus explicite. «C’est
la confluence d’un grand fleuve qui serait l’Afrique et d’un
bras qui s’en serait écarté pour y revenir : le reggae»,
précise-t-il.
Arrivé dans la capitale malienne avec sa basse, Manjul a reconstitué,
élément après élément, son studio analogique
avec cette philosophie qui lui est chère : entre la vie et la musique,
le lien doit être naturel. Sur certains morceaux, les instruments
tels que la kora, le ngoni ou la flûte peule se sont adaptés
au reggae. Sur d’autres, ce sont les thèmes ancestraux joués
par des musiciens traditionnels qui ont servi de fondations. Cette double
démarche s’applique aussi aux quelques chanteurs présents
sur Faso Kanou, essentiellement instrumental. Tiken Jah Fakoly, pour qui
le jeune Français travaille souvent, renoue avec une écriture
répétitive mais efficace sur le titre grinçant Fanga
Den. Mariage entre traditions et reggae
Manjul n’a pas attendu longtemps pour concevoir le second volet de
sa série, Jahtiguiya (adaptation rasta du terme «djatiguiya»
désignant le principe d’hospitalité en bambara), en
restant fidèle à sa méthode de travail. «J’ai
toujours voulu témoigner de ce que je vivais. C’est l’élément
motivant de mes albums. Tout est une question d’alchimie entre les
lieux, les temps, les choses et les gens. Et là, quelque chose s’est
mis en place. Souvent, je dis que je suis un outil, et je cherche juste
à ouvrir les yeux et les oreilles pour bien faire mon travail d’outil.
Je ressens une énergie en moi que je veux partager, et la musique
est le seul moyen que j’ai de le faire», explique le reggaeman.
Autour de lui, l’équipe a un peu changé. Mamadou Fofana,
membre du Symmetric Orchestra de Toumani Diabaté, apporte par exemple
sa connaissance des instruments traditionnels comme le balafon, les flûtes
peules, le kamalen ngoni, etc.
Très loin de son répertoire habituel, la chanteuse Assetou
Kanouté laisse une trace indélébile sur les trois morceaux
auxquels elle participe. «En tant que griotte et cantatrice, elle
exprime tellement avec sa voix ce que je veux faire ressentir aux gens par
rapport à l’Afrique qu’elle est devenue un élément
presque aussi important que les autres instruments sur scène»,
commente Manjul, désireux de développer cette collaboration.
Si l’on commence à connaître les qualités du musicien
français, qui s’illustre ici dans un registre un peu différent,
la prestation de Takana Zion sort de l’ordinaire. «C’est
vrai qu’il fait partie des gens que l’on remarque. En lui, il
y a quelque chose qui s’exprime qui est bien plus vieux que lui»,
reconnaît Manjul.
Mais, la plus belle réussite de ce concept novateur est sans doute
la version reggae de Beki Miri d’Amadou et Mariam. Le couple malien,
qui a effectué une partie de l’enregistrement de Dimanche à
Bamako chez Manjul, lui a laissé les voix d’une de ses anciennes
chansons. Autour de cet acapella, il a tout reconstruit. Le résultat,
roots et hypnotique à souhait, touche à la perfection. La
perfection ! Une quête éternelle chez rasta pétri de
talent.
Moussa Bolly |