ROKIA TRAORE
Un éblouissant changement de cap


En tournée mondiale depuis mars 2007, Rokia Traoré a fait sensation à la17e édition du Festival de Thau (France, du 16 au 23 juillet 2007). Le public a été séduit par le changement de cap musical que la fine Rose du Bélédougou vient d’effectuer en prenant l’option d’une nouvelle orchestration plus portée sur l’afro-groove. Avec comme cerise, une partie des titres de son prochain album qu’elle a récemment enregistré au studio Bogolan de Mali K7.
Organisée avec une grande discrétion dans une dizaine de villes françaises, avec quelques dates en Italie, cette mini-tournée répond à une envie tout à fait nouvelle de la chanteuse malienne. Pour donner une suite à Bowmboï, son troisième album sorti en 2003 et récompensé par un disque d’or, elle a voulu rompre avec les habitudes, les traditions. « Ça ne m’intéressait pas de m’installer dans quelque chose d’acquis et de tourner en rond », explique la lauréate du prix Découvertes de RFI en 1998, devenue depuis l’une des chanteuses africaines les plus applaudies. Depuis quelques temps, Rokia ne cesse de parler de « faire différemment », de « changer »... Ce qui n’est pas surprenante de la fart de cette artiste bouillonnante et avide de progrès dans tout ce qu’elle entreprend. Ce qui se traduit par cette innovation qui porte autant sur la forme que sur le fond.
Jusqu’à présent, elle avait toujours enregistré ses chansons en studio avant d’aller les présenter au public. Cette fois, elle inverse les étapes : à peine mis au monde, ses nouveaux titres sont confrontés à l’épreuve du live. Pendant dix jours intenses, elle les a répétés avec son groupe, également remanié afin de pouvoir servir au mieux ses dernières compositions imprégnées de son engagement pour diverses causes nobles.
Découvrant une autre facette de sa personnalité artistique, elle a pensé ses chansons avec une orchestration différente. Ce qui ne laissait pas de place au balafon qui occupait pourtant un rôle majeur dans sa musique. Le ngoni, instrument à cordes traditionnel du Mali, n’a pas été sacrifié, il n’aura pas l’emprise qu’il a eu sur les trois précédentes œuvres (Mouneïssa, Wanita, et Bowmboï). Ces instruments traditionnels acoustiques font de la place à la batterie que la chanteuse veut « chantante, pas seulement rythmique ». En la matière, elle a trouvé ce qu’elle cherchait dans le jeu de Chander Dath, l’un des nouveaux membres de sa formation avec l’expérimenté guitariste, Adama Koné, avec qui Rokia avait travaillé dans sa jeunesse.
Enthousiasmé par son projet, elle ne cache pas son plaisir de se produire dans des salles aux dimensions plus humaines qu’elle n’a plus fréquentées depuis ses débuts. Devant un public venu nombreux à Orléans, comme ce fut le cas à chaque étape de cet avant-tour, Rokia démarre son show par un a capella. Mais, lorsque le reste du groupe la rejoint, c’en est fini des ambiances feutrées, acoustiques.
La boule d’énergie lâche les chevaux, le couple basse-batterie assure le train bercé par ses envolées vocales. Impossible de ne pas frémir de plaisir, de contrôler ses sentiments face au talent exprimé avec tant de passion et de perfection. « Peut-être que je vais aimer ce son-là, très franc, très sincère, sans artifice… Et que je vais vouloir faire un disque à cette image-là », s’interroge-t-elle dans la presse française. L’idée est plus que séduisante pour les mélomanes privilégiés qui ont eu déjà à savourer cette innovation lors des concerts de Rokia.
Avec une voix à la fois délicate et intense, gorgée de nostalgie ou d’une espérance vigoureuse, Rokia Traoré a su s’imposer comme le talent le plus étonnant et le plus précoce d’Afrique de l’Ouest. Avec Bowmboï, son troisième album, elle avait enfin trouvé un parfait équilibre entre la musique née d’une vie entre Afrique et l’Occident, et sa vision du monde résolument moderne.
Moussa Bolly