N° 25
18 août 2003

MORY KANTE ARTISTE
"Mon destin de griot est de voyager"
Après le retentissant succès de son "Yéké Yéké", Mory Kanté a eu du mal se maintenir dans ce rôle de méga star de la world music. Mais, il y a deux ans (2001) il a fait un retour fracassant avec un tube aux sonorités plus variées : "Tamala" ou le "Voyageur". Un album qui scelle presque le destin de voyageur qu'il est avant tout. Un excellent opus qui actuellement distribué au mali grâce aux bons soins de Mali K7.

C'est en plein Empire Mandingue dans un petit village du sud de la Guinée, Albadaria, près de Kissidougou, que naît Mory Kanté le 24 février 1950. Son père, El Hadj Djelifodé Kanté, est déjà un très vieil homme à la naissance de Mory, qui compte parmi les plus jeunes de ses 38 enfants. La famille Kanté est une célèbre famille de griots, sortes de poètes, chanteurs, historiens et journalistes à la fois. En tout cas de véritables mémoires vivantes dont le rôle est, depuis la nuit des temps, de conter en musique les épopées sans fins des familles et des peuples. Les parents de Mory sont tous les deux griots, fonction héréditaire, et son grand-père maternel était un puissant chef de griots à la tête d'un puissant clan. Le destin de l'enfant est donc tout naturellement de devenir un "jali", terme mandingue pour "griot".

Elevé d'abord par sa mère malienne Fatouma Kamissoko, Mory va à l'école française. A 7 ans, sa famille l'envoie à Bamako, capitale du Mali, chez sa tante, Mananba Kamissoko, autre célèbre griotte. Jusqu'à 15 ans environ, il est initié aux rituels traditionnels, au chant et au balafon. Il participe à de nombreuses fêtes familiales, à des cérémonies officielles au cours desquelles il se forge une expérience solide de musicien et de chanteur. Au cours des années 60, la toute jeune République du Mali, reçoit de nombreuses influences musicales : rumba zaïroise, salsa cubaine, pop et rock anglo-saxons. Le jeune Mory se passionne très vite pour ces nouvelles musiques électrifiées et apprend la guitare. Fort d'une très riche expérience traditionnelle, il se tourne vers une certaine modernité très éloignée de son cadre familial. En 1968, il quitte l'école pour intégrer l'Institut des Arts de Bamako. Mais dès 1969, il cesse sa formation et joue dans différents orchestres. Il se forge une première notoriété en faisant danser les Maliens des nuits entières dans des bals à ciel ouvert. On était au temps des "apollos" !

En 1971, Mory a 21 ans. Il est repéré par le saxophoniste Tidiane Koné qui lui propose d'intégrer son groupe, le Rail Band de Bamako, fameux orchestre de l'hôtel de la gare. Mory accepte et prend place dans l'orchestre dont le chanteur n'était autre que Salif Kéita.
Lorsque ce dernier quitte le groupe en 73, Mory Kanté le remplace au chant. D'abord hésitant, il prend très vite goût à ce nouveau rôle. La formation tourne dans toute l'Afrique de l'Ouest où l'apprenti devient un artiste connu. En 1976, il reçoit le Trophée de la "Voix d'or" au Nigeria. Parallèlement, il apprend la kora et transgresse ainsi une certaine tradition qui veut que le balafon soit l'instrument noble dans sa famille. Il devient cependant très vite un virtuose de cette harpe à 21 cordes.

"Toute ma démarche depuis le départ a été de tendre vers la communication inter-culturelle et de positionner les instruments africains dans l'arbre de la musique universelle. Cela a marché. Maintenant tout le monde connaît le balafon ou la kora, qui sont parfois intégrés dans des groupes pratiquant une musique de fusion. Aujourd'hui la musique traditionnelle africaine est reconnue et appréciée dans le monde, alors pour moi, le but est atteint", explique Mory. Il exerce également ses talents de compositeur en écrivant des musiques pour des chœurs et des ballets. Enfin, il enregistre avec le Rail Band, une longue épopée dans la plus pure tradition des griots, "L'Exil de Soundiata, le fondateur de l'empire Mandingue". En 1977, il entreprend à titre personnel une tournée des grands sites historiques de l'empire au cours de laquelle il rencontre de nombreux maîtres de la tradition afin de parfaire son rôle de griot. En dépit des variations modernes qu'il impose à la tradition musicale, Mory Kanté ne mettra jamais de côté son hérédité familiale.

En 1978, Mory est installé à Abidjan en Côte d'Ivoire, ville musicalement très active et où les moyens de travailler et d'enregistrer sont surtout plus nombreux. Le musicien s'éloigne alors du Rail Band. Il s'entoure alors d'un nouvel ensemble de musiciens, dont Djeli Moussa Diawara. Désormais, la kora est au centre de son travail. De plus en plus, il songe à renouveler la musique traditionnelle en y insufflant des sons et des rythmes occidentaux. Le groupe est engagé par un des plus grands restaurants de la ville qui recherche une façon un peu originale d'animer ses soirées. L'occasion est excellente pour que Mory Kanté se lance dans des mélanges musicaux encore inédits. Aux airs traditionnels, il donne un habillage rock ou funk, et de la même façon, il revisite les répertoires Africains-Américains à la kora, au djembé ou au bolon (basse africaine à trois cordes à laquelle Mory en ajoute deux). Les bases d'un nouveau style sont jetées. Le succès est immédiat, même si cette modernisation de la musique traditionnelle n'est pas toujours appréciée par son entourage et par les puristes. Il n'est pas rare de le voir surnommer "l'enfant terrible" dans la presse de l'époque.
C'est à Los Angeles, sur le label du noir américain Gérard Chess Ebony, que Mory Kanté enregistre son premier disque en 1981, "Courougnègnè". L'artiste affine ses heureux mélanges entre tradition et modernité, entre instruments traditionnels et électriques. Déjà très connu en Afrique de l'Ouest, Mory devient une star sur tout le continent. Le pont musical qu'il crée entre l'Afrique et l'occident est en général bien accueilli. Suite à ce succès, il monte un grand ballet pour le centre Culturel français d'Abidjan. Sur scène, la formation regroupe 75 artistes : une chorale, des musiciens et des danseurs. Durant les années qui suivent, Mory se produit régulièrement avec un
orchestre de presque 20 personnes. Mais, c'est en Europe que le Guinéen souhaite venir travailler.

Du rêve à la réalité.

Ce désir devient réalité en 1984. Seul, sans son épouse et ses enfants qui restent à Abidjan, Mory Kanté arrive en France en plein hiver avec la ferme intention d'aller plus loin encore dans ses expériences musicales et de se faire connaître en Europe. En France, Mory Kanté n'est pas une star et le démarrage n'est pas facile. Cependant, la musique africaine explose en occident au cours des années 80. C'est la naissance de la world music, mélange des rythmes traditionnels du monde entier et des sons modernes, rock, funk, jazz ou électroniques. Mory, qui n'a pas attendu les années 80 pour se lancer dans ces mélanges, s'impose vite sur le marché musical.
Dès 1984, sort un premier album "Mory Kanté à Paris" produit par le producteur africain Aboudou Lassissi. L'accueil critique et public est bon et Mory Kanté se fait connaître en quelques mois. Il multiplie les concerts dans toute l'Europe, dont en Italie où il devient une grande vedette. Artiste émigré et sans carte de séjour, il devient une figure essentielle de la scène "World". Mutualité, New Morning, Bercy, et autres scènes de prestigieux festivals vont lui permettre de consolider ce succès. En 1985, Le camerounais Manu Dibango prend l'initiative d'inviter les artistes africains à enregistrer une chanson au profit des éthiopiens, victimes de la famine qui sévit alors. Mory Kanté fait naturellement partie du projet.

C'est en Italie, qu'il fait la connaissance du producteur américain David Sancious, qui s'est illustré en travaillant avec Bruce Springsteen. Le mariage de leurs deux talents donne naissance à un troisième album, "Ten Cola Nuts" qui sort en avril 1986 sur le label français Barclay. Ces noix de cola représentent des offrandes rituelles et des vœux de bonheur. La kora est toujours au centre de l'album, mais les synthétiseurs et les cuivres viennent enrichir l'ensemble. Le travail est très soigné et salué par la presse comme une sublime réussite. Les scores de ventes sont moyens mais cette fois, Mory Kanté a réellement trouvé un équilibre musical et culturel.
Juste après la mort de son père, à plus de cent ans, le jeune griot guinéen entame une très longue tournée avec un premier concert au Zénith de Paris le 29 mai. En juin, il fait un passage en Côte d'Ivoire et au Sénégal où il participe à un rassemblement anti-apartheid organisé le 14 juin, sur l'île de Gorée, l'île aux esclaves, au large de Dakar. S'ensuivent des tournées en Europe, aux Etats-Unis et un peu partout dans le monde (Japon, Australie...). Avec un groupe qui, à l'image de sa musique, profondément métissé parce que composé de Maliens, Sénégalais, Sud Africains, Français, Américains, Anglais, Suédois qui partagent leurs cultures et leurs expériences.

Griot électrique
Celui qu'on surnomme désormais "le griot électrique" atteint l'année suivante, en 1987, les sommets du succès avec son nouvel album "Akwaba Beach". Enregistré avec la collaboration du producteur anglais Nick Patrick, sous l'œil bienveillant et complice du président de Barclay, Philippe Constantin. Ce disque marque le triomphe du funk mandingue grâce un titre particulier, "Yéké Yéké" qui explose les hit-parades du monde entier. A commencer par les Pays-Bas. Composé au début des années 80, le titre se trouvait déjà sur l'album "Mory Kanté à Paris". Mais, non satisfait de cette première version, il décide de le remixer. Jackpot ! Le titre devient un succès exceptionnel sur lequel des publics du monde entier vont danser. En quelques années, le 45 Tours atteint des scores de vente chiffrés en millions d'exemplaires et fait l'objet d'innombrables transformation, adaptations et reprises en hébreu, arabe, chinois, hindi, portugais, anglais ou espagnol. Avec "Yéké Yéké", Mory Kanté devient l'artiste africain le plus vendu et peut-être le plus connu à travers le monde. En juillet 88, le titre "Yéké Yéké" atteint la première place du classement pan-européen établi par le fameux hebdomadaire professionnel américain, "Billboard". Juste après avoir reçu un disque d'or en octobre 88 en France, Mory Kanté est récompensé en novembre à Paris par la Victoire de la Musique du meilleur album francophone.

En janvier 1990, il retrouve les studios à Bruxelles, puis à Los Angeles, pour mettre au point son album "Touma" ("Le moment"). Pour l'occasion, et fort de sa notoriété, il s'entoure de grands noms dont le guitariste chicano-américain Carlos Santana (très connu en Afrique) ou le Sud-africain, Ray Phiri. La démarche est la même que pour "Akwaba Beach" et développe un mélange subtil et sophistiqué entre pop et tradition mandingue. L'album sort en septembre 1990. Souffrant et bénéficiant à la fois du succès géant de l'album précédent, les ventes ne dépassent guère le disque d'or en France et atteint à peine le million à l'étranger.
Le 14 juillet 1990, il représente la France avec Khaled lors d'un concert géant à New York, dans Central Park, devant des milliers de new-yorkais. En novembre, toujours à New York, il participe au Gala de la francophonie dans le célèbre Apollo Théâtre de Harlem qui a vu débuter son idole, James Brown.

En ce début des années 90, Mory Kanté songe sérieusement à revenir plus souvent sur sa terre natale. Comme le noble malien Salif Kéita, le griot guinéen souhaite utiliser son nom et ses moyens financiers pour aider ses compatriotes, et en particulier les plus jeunes. C'est ainsi qu'il projette de monter à Conakry un complexe culturel du nom de Nongo Village comprenant entre autres un studio, un centre de formation aux métiers du spectacle, un hôtel et un musée des griots. Dans un Mali en crise, le projet aura du mal à voir le jour. D'autre part, il réalise un autre de ses nombreux projets, avec la création d'un orchestre philharmonique d'une trentaine de koras, et autant de harpes, violons et flûtes. C'est avec cet Ensemble Traditionnel de Guinée de 130 musiciens qu'il se produit en 1991 pour l'inauguration de la Grande Arche de la Défense à Paris.

C'est chez lui en Guinée que la star de l'afro-dance enregistre son nouvel album "Nongo Village" du nom de son studio. Parmi les onze titres mixés à New York et à Paris, c'est "La Tension" qui semble destiné à conquérir les foules et à envahir les pistes de danse dans la même lignée que "Yéké Yéké". Dans ce disque, Mory Kanté réintègre le balafon qui détrône les guitares. Le premier extrait sort en septembre 93 suivi de l'album à l'automne. L'accueil est moyen, et certains lui reprochent de se perdre un peu dans une recette qui manque de renouvellement. Mais, en 1994, Mory Kanté reçoit le "Griot d'Or".

Après toutes ces années de succès, Mory Kanté choisit de retrouver une musique plus familiale, plus traditionnelle. Peut-être un peu las de son image de "griot électrique", le Guinéen se tourne vers ses sources et vers une pratique plus authentique de son art et de son métier.

La part des choses
En 1996, Mory Kanté sort un album autoproduit. En effet, l'album "Tatebola" ("la part des choses") se met à l'heure de la techno. Mais les bases rythmiques de la techno ne sont peut-être pas si éloignées des percussions ancestrales et les inspirations musicales de ce disque se veulent proches des origines mandingues. L'artiste a autoproduit ce dernier disque afin de conserver une certaine indépendance de création. C'est en juin 2001 qu'il sort "Tamala" (le Voyageur) après un long silence. Agé de 51 ans, le musicien n'a pourtant cessé de tourner à travers le monde mais sans guère d'escale française. Cette fois, on le retrouve avec un album dans l'afro funk mandingue qui a fait son succès il y a 15 ans. La part d'instruments traditionnels est importante et donne une saveur plus douce et moins électronique à l'ensemble. C'est l'Anglais Paul Borg qui produit le disque sur lequel on trouve toujours de nombreuses influences, hip hop, gitane ou soul via un duo avec la diva du rythm and blues britannique, Shola Ama.

"Tamala résume ma vie car j'ai beaucoup voyagé. Le griot voyage toujours. Qu'il se déplace d'un village à l'autre, de sous-région en sous-région, de pays en pays, c'est un communicateur, un informateur. Le mot "griot" est la traduction en français du terme mandingue "jali", qui signifie en fait "le sang" circulant dans notre corps qu'il connaît donc parfaitement. Le jali est effectivement celui qui connaît le mieux notre société mandingue. Il en perpétue les réalités historiques, culturelles et économiques", expliquait-il dans une interview accordée à RFI. Pour lui, malgré les mutations socio-culturelles, "les pays mandingues sont vraiment attachés à leur culture et à leur civilisation et ont toujours accordé une place privilégiée aux griots. Aujourd'hui encore au Mali, les griots sont consultés à l'Assemblée Nationale et en Guinée également pour tout ce qui concerne les grandes décisions. On sait que ce sont eux qui sauvegardent la mémoire du passé et celle du présent. Ils ont également leur place dans les grands mariages coutumiers. Ils ne sont pas des profiteurs comme on l'a entendu dire parfois, leur but n'a jamais été de s'enrichir sur le dos des gens".

De toute sa carrière, c'est apparemment le succès phénoménal de Yéké Yéké qui l'a le plus marqué. Il aime rappeler, "Yéké Yéké continue à marcher encore aujourd'hui, ce qui évidemment me satisfait. Leonardo di Caprio en a utilisé un remix pour la bande originale de son film The Beach. Mais je n'ai pas fait uniquement cela et Yéké Yéké n'illustre que l'un des aspects de ma démarche qui est la valorisation des instruments traditionnels. C'est cela mon vrai but et ce que je vise encore à travers Tamala, mon nouvel album, en construisant un pont entre la tradition, la musique authentique et le monde moderne".
King Moseto

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