Tribune / Presse
Article paru dans
N° 2470 - 17/03/2005

PHILIPPE BERTHIER A PROPOS DE LA FERMETURE DE MALI K7

« Les autorités sont complices des pirates »


Premier studio numérique d’Afrique de l’Ouest et de duplication de cassettes au Mali, Mali K7 a décidé de fermer en même temps que Seydoni-Mali à cause du piratage des œuvres artistiques. Pour en savoir plus, nous avons rencontré le directeur de Mali K7, Philippe Berthier, qui ne décolère plus contre les autorités.


Les Echos : Pourquoi fermez-vous ?
Philippe Berthier : Ce sont des raisons économiques, c’est-à-dire qu’il y a tellement de cassettes piratées sur le marché qu’on ne vend plus de cassettes légales. Présentement, on travaille en moyenne 3 à 4 jours par mois. Ce n’est pas évident en travaillant 4 jours par mois qu’on puisse assurer les salaires. On ne peut pas payer le courant, le téléphone. C’est extrêmement difficile.

Les Echos : Depuis que vous vous êtes implantés au Mali qu’est-ce que les autorités ont concrètement fait contre la piraterie ?
Philippe Berthier : La piraterie a toujours existé au Mali. Quand je suis arrivé, il n’y avait pratiquement que des cassettes piratées. On a essayé de former, d’expliquer qu’il faut faire des cassettes légales. On a pu convaincre certaines personnes, qui ont commencé à faire des vraies productions, qui produisent des artistes dans la légalité.
Mais depuis quelques années, il y a une reconnaissance totale de la piraterie. Il y a actuellement aucune cassette légale sur le marché. C’est simple à vérifier. Vous prenez n’importe quel marchant de cassettes dans la rue, vous regardez toutes les cassettes qui sont dans son carton, si vous trouvez une cassette légale, c’est que vous avez de la chance. Il y a 1 % de cassettes légales contre 99 % piratées.
Le ministre de la Culture actuel nous a aidés, mais je pense qu’on ne lui donne pas les moyens de sa politique. Il n’arrive pas à débloquer des choses importantes pour mener des opérations sérieuses dans la lutte contre la piraterie. On ferme parce qu’économiquement c’est très difficile.

Les Echos : Est-ce que vous payez des taxes à l’Etat ?
Philippe Berthier : Nous payons des droits, des taxes, tout ce qu’on doit payer. Nous payons des droits aux artistes, au BMDA. Il y a des impôts qui étaient versés à l’Etat. L’Etat gagne plus que l’artiste sur une cassette. Donc, il lui revient de faire son travail en mettant, entre autres, les voleurs hors d’état de nuire. La piraterie, selon la loi malienne, est considérée comme un crime, donc les pirates sont des criminels. Mais qu’est-ce qu’on voit ? Les criminels sont dans la rue et on les laisse vivre. Ce n’est pas normal.

Les Echos : Est-ce à dire que l’Etat ne fait pas son travail ?
Philippe Berthier : Sur ce point, l’Etat ne fait pas son travail. Le bureau qui est chargé des problèmes de piraterie qui est le BMDA, si vous avez envie de boire du thé vous allez dans leur cour vous trouverez leurs agents qui font du thé tranquillement. Si le travail du BMDA, c’est de faire le thé, nous on ne comprend pas bien sa mission ; Son travail, pour nous, consiste d’une part à régler les problèmes des artistes et d’autre part à lutter contre la piraterie. Dans tous les pays du monde, les bureaux des droits d’auteurs sont là pour ça.

Les Echos : On dit qu’il y a plusieurs petites unités de cassettes pirates. Les connaissez-vous ?
Philippe Berthier : Dans tous les pays du monde on le voit. Vous allez au marché, vous achetez des cassettes, il y a des gens qui ont des postes radios, vous leur dites de vous faire la copie, ça aussi c’est illégal. Cela est fait devant tout le monde. Le BMDA connaît tous les pirates de Bamako. Il sait qui fait quoi. Le jour de la fermeture on a reçu un papier comme quoi on est contrôlé par la direction nationale du commerce et de la concurrence. On est victime de la concurrence déloyale et c’est nous qu’on contrôle. Je ne suis pas content, si je dois fermer définitivement, mais je le fais. Je ne suis pas le seul perdant. C’est la culture malienne qui va perdre aussi.

Les Echos : Est-ce que vous pouvez évaluer les pertes ?
Philippe Berthier : Elles sont inestimables. Ce n’est pas seulement nous qui perdons, c’est tout le monde. Ce sont des milliers de personnes qui perdent dans cette fermeture. L’Etat perd des centaines de millions et les artistes aussi. Il y aura des chômeurs.

Les Echos : Quel doit être, selon vous, le comportement des autorités pour éradiquer le fléau ?
Philippe Berthier : Je disais que la piraterie au Mali est considérée comme un crime. Les criminels doivent être pris, jugés et envoyés en prison, tout en payant des amendes. Leurs « marchandises » doivent être saisies et incinérées.

Les Echos : Quelle appréciation faites-vous de la création prochaine d’une brigade anti-pirate ?
Philippe Berthier : La brigade, c’est cinq policiers. Est-ce que vous pensez que cinq policiers peuvent suffire à ramasser les cassettes pirates à Bamako et à l’intérieur du pays ? Je pense que ce n’est pas suffisant. Il faudrait des vraies opérations au départ et après de petites brigades ? Ca c’est une goutte d’eau dans la mer. Ce n’est pas en ramassant ses petits revendeurs que ça va finir.