PHILIPPE
BERTHIER A PROPOS DE LA FERMETURE DE MALI K7
«
Les autorités sont complices des pirates »
Premier studio numérique d’Afrique de l’Ouest et de
duplication de cassettes au Mali, Mali K7 a décidé de fermer
en même temps que Seydoni-Mali à cause du piratage des œuvres
artistiques. Pour en savoir plus, nous avons rencontré le directeur
de Mali K7, Philippe Berthier, qui ne décolère plus contre
les autorités.
Les Echos : Pourquoi fermez-vous ?
Philippe Berthier : Ce sont des raisons économiques, c’est-à-dire
qu’il y a tellement de cassettes piratées sur le marché
qu’on ne vend plus de cassettes légales. Présentement,
on travaille en moyenne 3 à 4 jours par mois. Ce n’est pas
évident en travaillant 4 jours par mois qu’on puisse assurer
les salaires. On ne peut pas payer le courant, le téléphone.
C’est extrêmement difficile.
Les
Echos : Depuis que vous vous êtes implantés au Mali qu’est-ce
que les autorités ont concrètement fait contre la piraterie
?
Philippe Berthier : La piraterie a toujours existé au Mali. Quand
je suis arrivé, il n’y avait pratiquement que des cassettes
piratées. On a essayé de former, d’expliquer qu’il
faut faire des cassettes légales. On a pu convaincre certaines
personnes, qui ont commencé à faire des vraies productions,
qui produisent des artistes dans la légalité.
Mais depuis quelques années, il y a une reconnaissance totale de
la piraterie. Il y a actuellement aucune cassette légale sur le
marché. C’est simple à vérifier. Vous prenez
n’importe quel marchant de cassettes dans la rue, vous regardez
toutes les cassettes qui sont dans son carton, si vous trouvez une cassette
légale, c’est que vous avez de la chance. Il y a 1 % de cassettes
légales contre 99 % piratées.
Le ministre de la Culture actuel nous a aidés, mais je pense qu’on
ne lui donne pas les moyens de sa politique. Il n’arrive pas à
débloquer des choses importantes pour mener des opérations
sérieuses dans la lutte contre la piraterie. On ferme parce qu’économiquement
c’est très difficile.
Les
Echos : Est-ce que vous payez des taxes à l’Etat ?
Philippe Berthier : Nous payons des droits, des taxes, tout ce qu’on
doit payer. Nous payons des droits aux artistes, au BMDA. Il y a des impôts
qui étaient versés à l’Etat. L’Etat gagne
plus que l’artiste sur une cassette. Donc, il lui revient de faire
son travail en mettant, entre autres, les voleurs hors d’état
de nuire. La piraterie, selon la loi malienne, est considérée
comme un crime, donc les pirates sont des criminels. Mais qu’est-ce
qu’on voit ? Les criminels sont dans la rue et on les laisse vivre.
Ce n’est pas normal.
Les
Echos : Est-ce à dire que l’Etat ne fait pas son travail
?
Philippe Berthier : Sur ce point, l’Etat ne fait pas son travail.
Le bureau qui est chargé des problèmes de piraterie qui
est le BMDA, si vous avez envie de boire du thé vous allez dans
leur cour vous trouverez leurs agents qui font du thé tranquillement.
Si le travail du BMDA, c’est de faire le thé, nous on ne
comprend pas bien sa mission ; Son travail, pour nous, consiste d’une
part à régler les problèmes des artistes et d’autre
part à lutter contre la piraterie. Dans tous les pays du monde,
les bureaux des droits d’auteurs sont là pour ça.
Les
Echos : On dit qu’il y a plusieurs petites unités de cassettes
pirates. Les connaissez-vous ?
Philippe Berthier : Dans tous les pays du monde on le voit. Vous allez
au marché, vous achetez des cassettes, il y a des gens qui ont
des postes radios, vous leur dites de vous faire la copie, ça aussi
c’est illégal. Cela est fait devant tout le monde. Le BMDA
connaît tous les pirates de Bamako. Il sait qui fait quoi. Le jour
de la fermeture on a reçu un papier comme quoi on est contrôlé
par la direction nationale du commerce et de la concurrence. On est victime
de la concurrence déloyale et c’est nous qu’on contrôle.
Je ne suis pas content, si je dois fermer définitivement, mais
je le fais. Je ne suis pas le seul perdant. C’est la culture malienne
qui va perdre aussi.
Les
Echos : Est-ce que vous pouvez évaluer les pertes ?
Philippe Berthier : Elles sont inestimables. Ce n’est pas seulement
nous qui perdons, c’est tout le monde. Ce sont des milliers de personnes
qui perdent dans cette fermeture. L’Etat perd des centaines de millions
et les artistes aussi. Il y aura des chômeurs.
Les
Echos : Quel doit être, selon vous, le comportement des autorités
pour éradiquer le fléau ?
Philippe Berthier : Je disais que la piraterie au Mali est considérée
comme un crime. Les criminels doivent être pris, jugés et
envoyés en prison, tout en payant des amendes. Leurs « marchandises
» doivent être saisies et incinérées.
Les
Echos : Quelle appréciation faites-vous de la création prochaine
d’une brigade anti-pirate ?
Philippe Berthier : La brigade, c’est cinq policiers. Est-ce que
vous pensez que cinq policiers peuvent suffire à ramasser les cassettes
pirates à Bamako et à l’intérieur du pays ?
Je pense que ce n’est pas suffisant. Il faudrait des vraies opérations
au départ et après de petites brigades ? Ca c’est
une goutte d’eau dans la mer. Ce n’est pas en ramassant ses
petits revendeurs que ça va finir.
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