09 Août 2004

Les talents à la vitrine
Nous avons ouvert l’une des plus glorieuses et des plus prestigieuses pages du Panthéon de la musique malienne voire africaine. Et cela pour vous rappeler ses pionniers qui ont assuré la promotion de ce patrimoine artistique aux quatre coins de la planète et qui ont posé les jalons de l’actuel rayonnement culturel du Mali en demeurant, même morts, des sources pures d’inspiration des nouvelles générations. Bazoumana Sissoko «Banzoumana ba», Tara Bouaré, Siramory Diabaté, Lamissa Bengaly, Koni Koumaré, Méruba, Fodé Kouyaté … nous ont quitté. Mais l’héritage qu’ils nous ont laissés continue de faire notre fierté.

Banzoumana Sissoko : Le vieux Lion
«De mon temps, les racines d’une personne déterminaient toujours la qualité de l’Homme», aimait à dire Ba Zoumana Sissoko. «Le Griot des griots» ou «Le Vieux lion» a toujours enseigné que la dignité est l’essence de toutes les vertus. En plus de la dignité, le Vieux lion qui a cessé de rugir le mardi 29 décembre 1987 avait le courage, la fidélité, la conviction, la témérité et le talent comme qualités.
Né non-voyant à Koni (Tamani, Ségou), ce mythe de la nature va très tôt se retrouver paralytique. Loin d'être un handicap, le vieux Lion, avec une farouche détermination et un savoir faire hors du commun, un étincellent jeu de n'goni, une voix émotive, est parvenu à se faire un nom sur toutes les scènes artistiques. De Bamako aux différentes capitales africaines, européennes, asiatiques ou américaine, l’inimitable Ba Zoumana s'est fait une renommée partout où, il est passé.
Rebelle dans l’âme le «Vieux lion», comme on l’avait respectueusement surnommé, est resté fidèle à ses convictions. Ainsi, après l’indépendance, lorsqu’on alla à lui pour enregistrer son répertoire, il accepta tout en se refusant aux éloges «propriété exclusive de son Djatigui" (Hôte). La seule concession qu’il fit, c’est le chant «Mali ba kèra awn tayé» (Ce beau pays au passé glorieux est devenu le nôtre, c’est-à-dire indépendant) magnifiant notre nouvelle souveraineté.
Le grand maître des tariks considérait son N’goni magique comme sa seule compagne de la vie, la «seule qui ne trahit jamais». L’immortel Ba Zoumana Sissoko émeut les Maliens à tous les événements nationaux (22 septembre, 20 janvier, 26 mars, décès d’une grande personnalité de la nation ou d’un pays ami…) dans des modes d’expression très variés. Si aujourd'hui, le père de l’Hymne nationale ne vit plus, son riche répertoire continu d'être exploité par la nouvelle génération d'artiste, notamment Teningnini Damba l'une de ses filles cadettes qui a exclusivement bâtie son succès sur les tubes de son feu père. Aujourd’hui, son célèbre N’goni est l’une des pièces mythiques et légendaires du Musée national de Bamako.

Lamissa Bengaly : Jeune dans l’âme et dans sa musique
De nombreux talentueux artistes ont suivi Ba Zoumana sur les sentiers de l’honneur. Avec sa voix tonitruante, Lamissa Bengaly a énormément contribué à la promotion du balafon au Mali et à l’extérieur. Fier, franc, fidèle et talentueux, il a d’abord usé de son art pour motiver l’ardeur des braves paysans Sénoufos à la tâche.
Né à Falou, dans l’arrondissement de Nkourala (Sikasso), Lamissa était l’ami des jeunes qu’il n’a jamais cessé de sensibiliser, guider et pousser au patriotisme à travers des chansons devenues alors populaires. C’est à travers elles (chansons) que le Mali, l’Afrique voire le monde entier a découvert et apprécié culture Sénoufo jusque-là inconnue malgré son immense richesse et sa diversité. De nos jours le flambeau est tenu par des jeunes artistes non moins connus et qui sont devenus les nouveaux ambassadeurs du balafon senoufo. Lamissa continu de vivre à travers son riche et varié répertoire.

Toumani Koné : Virtuose du doson N’goni
Après N’gonifo Bourama, le plus grand joueur de Donso N’goni a été Toumani Koné. Il a malheureusement arrêté de le manier après avoir perdu ses doigts. Le père de la jeune révélation du Wassoulou, Mamah Toumani Koné, représente néanmoins une génération qui a vulgarisé le Donso N’goni. Conteur et poète, Toumani Koné avait une puissante voix qu’il a su préserver tout au long d’une merveilleuse carrière afin d’exhorter les chasseurs au surpassement et à l’héroïsme. Deux de ses fameux tubes viennent d'être repris par la diva du Wassoulou Oumou Sangaré dans la double compilation qu'elle vient de mettre en vente sur le marché malien. Toumani Koné jusqu'à sa mort a toujours été un symbole de courage, de bravoure, de fidélité et d'honnêteté pour la jeunesse malienne en générale et africaine en particulier.

Koni Koumaré : Cantatrice royale
Décédée le 12 février 1999, Koni Koumaré a été la première cantatrice malienne à être enregistrée à la Radio Soudan, en 1952. Et c’est Ba Zoumana Sissoko qui l’accompagnait au N’goni . Née à Cinzani (Ségou), Koni a été la principale animatrice des Sumu des «Diamana tiguis» (rois ou chefs de tribu) de Ségou. C’est son frère Sinè Koumaré, infirmier d’Etat à l’époque, qui l’amena à Bamako pour sa promotion artistique. Elle n’avait que 15 ans. Avec une voix divine et une parfaite maîtrise des chansons et tariks Bamanan, Koni Koumaré a également enregistré un disque en France.
Considérée, à juste titre, par beaucoup d’observateurs comme la première grande vedette féminine du Mali, elle était la cantatrice adulée et respectée des familles fondatrices de Bamako (Niaré et Touré).Et durant sa brillante carrière, un Djatigui lui a une fois offert un esclave et un autre lui fit cadeau de son… auriculaire (petit doigt) ! Elle s’est effacée à 85 ans laissant dernière elle quatre orphelins.
A Suivre…

Siramory Diabaté : La superbe voix du Mandé
Sa voix était si belle et si puissante que sa tante fut contrainte d’user des pouvoirs surnaturels pour la protéger de la jalousie, de la convoitise et de l’envoûtement qui sont légion dans sa caste. Malgré cette protection, Siramory Diabaté vint à perdre brutalement sa voix. Mais déjà griotte-vedette, elle fut sauvée par les Traditérapeutes dont l’un lui prédit : «quand tu ouvriras la bouche pour chanter désormais, toutes les autres cantatrices se tairont de saisissement».
Cette prophétie s’est réalisée car à partir de là, la voix de Siramory Diabaté va donner des frissons aux Mandékaw (habitants du Mande, une région naturelle du Mali).Cette profonde voix, valorisée par le balafon de son mari Namory Kouyaté, a revalorisé le riche répertoire du Mandé. Siramory a été presque la seule cantatrice dont le talent a éveillé chez les Mandékaw la fierté et la bravoure.
Et son morceau fétiche, Sara dépeint éloquemment ce qui fit la gloire des «massarenw» (habitants du Mandé) : le respect de la parole donnée. Comme Ba Zoumana, elle a célébré le Mali indépendant. Et comme le Vieux Lion, le Rossignol se refusa aux louanges des dirigeants et riches de son époque car son seul Djatigui a été le Mandé. Pour l’élégante et l’éloquente Siramory, «la dignité est la mamelle à laquelle toutes les vertus tètent sans distinction de race, mais toujours dans la grâce d’Allah».

Tara Bouaré : La voix d’or du Bara
Chanteuse de charme du Bara, une voix limpide mais un tantinet rétro : c’est l’image cultivée par Tara Bouaré, disparue en 1971. Brillante perle du folklore Bamanan, elle a mitraillé le Kala avec ses chansons célébrant l’unité, la solidarité et l’amour. Et ses romances et sa poésie lui ont permis de narguer son temps. Son titre fétiche, «Sanu nèguèni» (tige d’or), disant en substance qu’aucun règne n’est éternel, a été l’hymne de la révolution de mars 1991 à travers l’unité de production audiovisuelle, «Sorofé», de la Coopérative Culturelle Jamana. C’est la preuve que son ingéniosité musicale a forgé une passerelle entre différentes générations.

Méruba : Le Rossignol bamanan
Miérou Baba ou «Méruba» a incontestablement été l’une des personnalités les plus marquantes de l’histoire musicale du Macina et de Ségou. Méruba, c’est le Rossignol hissé à la cime de l’art musical et arraché à l’affection de son royaume dans un accident de circulation entre Macina et Ségou. Son savoir faire et sa beauté vocale, qui fit trembler les âmes sensibles, lui ont permis de marquer son époque.

Fodé Kouyaté : Le Panafricaniste
Si une voix malienne pouvait rivaliser avec celle des plus grands musiciens internationaux, c’était sans conteste celle de Fodé Kouyaté. Cet artiste qui clamait haut et fort son appartenance à la caste des griots fut un musicien célèbre en Afrique occidentale, en Europe et au pays de l’oncle Sam.
Né vers 1963 à Kita (185 km de Bamako), dans un milieu ancré dans la musique, Fodé est avant tout un enfant d’Afrique pour qui le travail bien fait, la générosité, le respect de l’autre sont autant de bases sur lesquelles s’appuie l’organisation de sa vie personnelle. Il perd son père à l’âge de 9 ans.
Or, si sa mère avait de l’aversion pour la musique, son père par contre, évolua au sein de l’orchestre de Kita avant l’indépendance du Mali. A propos de son initiation, Fodé disait que, «j’ai été initié à la musique depuis ma tendre enfance. C’est surtout mon oncle, Badié Sissoko, un aveugle, qui m’a beaucoup inspiré. Je prenais son bâton, je le conduisais aux cérémonies familiales : baptême, mariage et autres. Il était un excellent musicien. Alors sa compagnie m’a vraiment initié à la musique. Elle fait partie même de mon éducation de base». C’était en 1996. Il affermit son talent au contact d’autres grands musiciens comme son beau-père Batrou Sékou Kouyaté, un virtuose de la kora. C’est véritablement à partir de la classe de 10e (année scolaire 80/81) que Fodé va embrasser sa carrière musicale en passant d’abord par les formations théâtrales puis l’orchestre de Kita et l’orchestre régional de Kayes, le «Félou Star». Ensuite il s’exila pendant dix ans en Côte d’Ivoire où le président Félix Houphouët-Boigny (Paix à son âme) devint son mécène…
Il travailla avec Jimmy Hyacinthe, alors meilleur arrangeur de la Côte d’Ivoire. Mais ses ambitions l’obligeront à quitter la douceur et la quiétude de la lagune Ebrié pour s’installer en France où il avait finalement acquis les savoirs techniques d’une autre culture musicale. Sa carrière durant, le messager de la paix qu’il était se lançait à corps perdu dans le combat de la réhabilitation de l’image du «djéli» (griot) et de l’intégration africaine. Nterikè (1984), An ka wili (1992) et Djéliya (1996) sont les chefs d’œuvre d’une brillante et précoce carrière du Panafricaniste.
L’amour, la société, l’injustice, la paix et l’intégration étaient surtout les thèmes abordés dans ses différentes compositions. De son union avec Diamy Kouyaté, la fille préférée de Batrou Sékou Kouyaté, sont nés trois enfants (une fille et deux garçons). Patriote convaincu, Fodé exhortait, à travers ses chansons comme «An ka wili», ses compatriotes au travail, au travail bien fait. Aussi, il a tenu à être présent à la signature du Pacte national qui signait le retour de la paix au Nord.
Ambassadeur de la musique et de la culture malienne, il s’est éteint le 25 octobre 1996, à l’hôpital national du Point G, des suites d’une méningite cérébro-spinale au moment de la conception de la maquette de son 4e album… et bien d’autres projets.