Tribune / Presse
Article paru dans
N° 378 du 01/10/2003

Salif Keita, Star de la Musique
"Les producteurs maliens sont des pirates"

"Le cheval blanc", Salif Kéita, ne décolère pas contre les jaloux qui le dénigrent parce qu'il refuse de se laisser casser le sucre sur le dos. En effet, les détracteurs de l'enfant de Djoliba essayent de le détruire sous prétexte qu'il a refusé de participer à la Biennale. La Mega Star réplique qu'il n'a pas été officiellement invité à la manifestation artistique et culturelle. C'est donc un "Domingo" de la musique très fâché que nous avons rencontré dans sa coquette villa de BoulKassoumbougou-Kouloubléni. La colère ne l'a pas empêché de nous parler de son patriotisme, de son engagement politique, des femmes, de l'amour... Interview.

-Vous avez-été l'un des grands absents de la scène de l'animation de la Biennale. Qu'est-ce qui explique cette absence ?
Salif Keita : Je suis au courant de la reprise de la Biennale qui est d'ailleurs une très bonne chose. Mais, je n'ai pas été officiellement invité comme les autres artistes. Je suis surpris et surtout déçu de n'avoir pas été invité à cette manifestation. Il est difficile de se présenter à une manifestation à laquelle on n'est pas invité.

- Et pourtant, selon certaines rumeurs, vous avez tout simplement décliné l'invitation des organisateurs ?
Cela m'étonne ! Mais, je pense que cette rumeur est l'œuvre des intermédiaires qui, apparemment, m'en veulent beaucoup. Mais ils se fatiguent parce qu'ils ne peuvent pas me brouiller avec Cheick (Cheick Oumar Sissoko, ministre de la Culture, NDLR). Il a été mon ami, il l'est aujourd'hui et il le sera le jour où il ne sera pas aussi ministre. J'apprécie ses qualités professionnelles et humaines, son talent, son engagement et son intégrité morale. Et je sais qu'il ne va pas croire aux mensonges et calomnies de ces jaloux qui ne veulent pas que le Mali avance et qui ne font que casser le sucre sur le dos des honnêtes et dévoués citoyens. Ces artistes et certains de vos confrères m'en veulent parce je refuse de jouer leur jeu. Ils ne sont pas plus patriotes que moi. J'ai investi plus 170 millions (260.000,00 €) au Mali s'en tirer aucun profit parce que j'aime mon pays. J'ai engagé des gens dans mon Espace culturel, le "Moffou", qui ne me rapporte rien. Mais je les paye parce que c'est ma modeste contribution à la resorption du chômage. Je défie quiconque de prouver qu'il est plus patriote que Salif Kéita.
De 1963 à 2003 je n'ai eu que du succès. Et certains sont jaloux de cela et allergiques à mon nom. Ils m'en veulent parce que je refuse d'entrer dans leurs combines pouvant ternir l'image de mon pays, parce que je refuse de cautionner la médiocrité. Je demande aux autorités de me saisir directement chaque fois qu'elles ont besoin de moi et de ne plus passer par des intermédiaires.

- Ne pensez-vous pas que votre engagement, votre franc-parler dérange beaucoup de chose gens ?
Dieu merci, mon talent me permet de vivre décemment et de ne courber l'échine devant personne. On ne peut pas me corrompre ni me manipuler. C'est ce qui dérange mes détracteurs qui ne peuvent avoir d'autres arguments contre moi. Je ne demande qu'à servir le Mali sans exiger quoi que ce soit. La preuve, pendant les dix ans d'Alpha Oumar Konaré Koulouba, le gouvernement a débloqué 200 millions de F CFA (305.000,00 €) par an pour la promotion culturelle. Ce qui fait 2 milliards de F CFA (3.049.000,00 €) , sur les dix ans, sur lesquels je n'ai touché pas un rond comme subvention. Mais, cela ne m'a pas empêché d'investir au Mali. Je suis écarté de beaucoup d'événements à cause des préjugés véhiculés par mes détracteurs. J'ai envie de contribuer au développement. Mais, il faut qu'on m'en donne l'opportunité.

- On est étonné que, face à tant d'acharnement contre vous, vous n'ayez pas baissé les bras comme beaucoup d'autres ?
Jamais je ne baisserai les bras parce que c'est ce que mes ennemis veulent. Se battre pour le développement du Mali doit être un devoir pour chaque Malien. Quels que soient les mauvais caractères d'une maman, on ne peut pas et on ne doit pas la renier. Et ce qu'on doit à une maman, on le doit aussi à sa patrie. L'intérêt du pays est celui de la mère, donc ton intérêt. On doit donc mettre la patrie avant tout. Mais, aujourd'hui, c'est le contraire qui est fréquent. Je suis fier d'être Malien parce que je dois tout aux Maliens. Rien ne pourra m'empêcher de m'investir pour ce pays. Même si on ne me le reconnaît pas aujourd'hui, je sais qu'un jour on me le reconnaîtra. Je n'en doute pas.

- Que pensez-vous réellement de la Biennale ?
C'est une très bonne initiative. La Biennale a contribué à la formation de beaucoup d'artistes du pays. Elle est l'une des manifestations qui font qu'aujourd'hui le Mali à une très grande notoriété artistique et culturelle à travers le monde.

- Moffou est comme un album de rupture dans votre carrière. Qu'est-ce qui explique ce choix ?
Chaque album d'un artiste doit être un univers à découvrir. Je n'ai jamais voulu que mes albums se ressemblent. Cela est un signe de politesse à l'égard des mélomanes. On ne peut donc pas offrir le même menu à ses fans. Ce n'est pas respectueux

- Moffou apparaît également comme une volonté de s'affranchir des contraintes du World music ?
World musique est un concept commercial qui ghettoïse la musique africaine. Les Africains ne font-ils pas le blues, le jazz, le rock, la salsa...comme tout le monde ? La particularité de Moffou est que, par rapport aux précédents albums, je ne revendique rien. Parce qu'il y avait tellement de problèmes dans le monde et nos sociétés étaient éprouvées par les maladies, la famine, la pauvreté et les guerres, etc. Il était donc inutile d'attirer l'attention sur quoi que ce soit. Je n'ai donc parlé que d'amour. Amour entre époux, frères, amis, amants... Parce que, pour moi, l'amour est le remède de tous les maux qui affectent notre société. Les corrompus et les délinquants financiers n'ont pas l'amour de leur patrie.

- Moffou n'est pas seulement un album acoustique, il est très romantique. Est-ce à l'image de l'artiste ?
Je suis romantique. Parce que j'ai mis de côté les revendications sociales et politiques. Malgré les difficultés, je suis resté optimiste. Il est évident qu'il y a une part d'idéalisme donc de romantisme dans cet optimisme. Et je trouve que le romantisme est également une forme d'engagement

- De 1963 à maintenant, qu'est ce qui a changé dans votre perception de la musique ?
Ma culture musicale s'est beaucoup enrichie. J'ai acquis beaucoup d'expérience. J'ai rencontré beaucoup de musiciens de cultures différentes à travers le monde. De 1969 à 19673, j'ai fait le Rail Band très ouvert aux différentes influences musicales comme la salsa. J'ai ensuite été sociétaire des Ambassadeurs de 1973 à 1978. Ce qui a été une expérience spécifique. J'ai alors pris conscience que, pour un musicien autodidacte, la seule façon de s'améliorer, c'est d'aller à la rencontre d'autres cultures, d'autres musiciens et de travailler avec eux afin de partager leurs expériences. C'est ainsi qu'on se cultive et c'est ce que j'ai fait toute ma carrière.

- Vous êtes très engagé en faveur de la promotion de la femme. Qu'est-ce que motive cet engagement ?
La femme est la première créature à féliciter. D'abord, elle accepte de souffrir pendant neuf mois afin de donner naissance. Elle peut pourtant s'y soustraire en avortant. Elle se sacrifie, ensuite pendant 12 à 15 ans pour permettre à l'enfant de découvrir la vie, de s'épanouir. Et pourtant, certains enfants ne leur reconnaissent pas cela. La femme est l'existence. Aujourd'hui, le monde compte six milliards de personnes. Mais, sans la femme, l'existence humaine ce serait limité peut-être à Adam. L'humanité doit tout à la femme.

- Est-ce que la société malienne reconnaît encore ce rôle à la femme ?
Je pense que si on leur fait davantage confiance, les Maliennes peuvent être le pilier de notre développement. Mon souhait est qu'une femme se présente à l'élection présidentielle. Je serais le premier qui va la soutenir. Il est regrettable que la première à le faire ne soit pas allée au bout de son initiative. De la manière où une femme aime ses enfants, elle ne peut qu'être juste entre les citoyens. Et il est établi que la femme gère mieux que l'homme.

- On vous taxe souvent d'homme à femmes. Qu'en dites vous ?
J'aime les femmes ! J'adore les femmes parce que je n'ai pas encore goûté les hommes. Le jour où un gay va réussir à me convaincre à le goûter et que je le découvre plus doux qu'une femme, je vais alors me reconvertir. Les médisants qui me détestent m'attribuent de nombreuses aventures et maîtresses. Mais, aujourd'hui, les maisons de passe fourmillent à Bamako. Et elles marchent plus que les hôtels. Salif Kéita n'y va jamais. Alors qui sont leurs clients ?

- A propos de candidature à la présidence de la République, pourquoi avez-vous soutenue celle d'ATT en 2002 ?
ATT est un patriote sans lequel le Mali serait dans une situation pire que celle que nous vivons aujourd'hui. C'est un leader qui a fait ses preuves. Il n'a pas brigué la magistrature suprême pour s'enrichir. Sa valeur, ses compétences et son intégrité morale sont unanimement reconnues à travers le monde. Il n'a donc pas besoin d'être président de la République pour bien vivre. Il a eu assez d'opportunités d'exercer des fonctions plus prestigieuses que celle de chef de l'Etat. Mais, il a toujours mis son pays au-dessus de ses propres intérêts. La Fondation pour l'Enfance à fait mieux que certains régimes de ce pays. Parce qu'elle a eu des initiatives concrètes de lutte contre la pauvreté. L'éradication de la dracunculose est l'une des grandes victoires de la Fondation pour l'Enfance. C'est un homme que j'ai connu avant le 26 mars 1991. Je suis convaincu de la noblesse de ses ambitions politiques comme d'ailleurs la majorité des Maliens. C'est pourquoi il est à Koulouba aujourd'hui.

- Que pensez-vous de la musique malienne ?
Elle est aujourd'hui d'une très grande notoriété dans le monde. Mais, cela a aussi un impact négatif parce que nos musiciens perdent de plus en plus leur originalité. Ils ont tendance à se laisser submerger par d'autres concepts. Il est intéressant et enrichissant de s'ouvrir à d'autres influences, mais, il ne faut pas perdre pour autant son authenticité. Plus nous sommes authentiques, plus nous aurons de la valeur. Une originalité qui fait que la musique malienne est l'une des mieux cotées dans le monde. C'est à nous de nous battre pour mieux mériter cette place. On peut rester Roots et faire danser les gens. Je pense qu'une musique trop sophistiquée est comme une femme noire qui se dépigmente : elle est... dégeulasse !

- Est-ce-que les femmes artistes ont contribué à cette notoriété ?
Dans cette notoriété, les artistes maliennes se sont battues pour sauvegarder deux valeurs. La première est la place de la Malienne dans sa société. Une place très importante que nos sœurs artistes continuent à sauvegarder. Elles ont aussi prouvé que des femmes pouvaient contribuer à donner une meilleure image au pays à travers la promotion artistique et culturelle. Elles ont une part importante dans le rayonnement culturel du Mali.
Il faut aussi ajouter que nos cantatrices ont beaucoup contribué à la transmission de notre histoire de génération en génération.

- Sauvegarder l'actuelle notoriété pose une question de relève. Aujourd'hui, les jeunes se heurtent à des difficultés de production et de promotion. Quel appui pouvez-vous leur apporter ?
C'est avec l'ambition de faciliter la production et la promotion aux jeunes talents que j'ai créé Wanda Records il y a plus d'une dizaine d'années. Mais, cette structure n'est pas encore à la hauteur de mes attentes parce qu'on ne m'a pas facilité la tâche. On a tout fait pour me casser afin que je me casse d'ici parce que j'ai horreur de la médiocrité et de la malhonnêteté. La grande majorité des producteurs du Mali sont des pirates qui font tout pour détruire tous ceux qui refusent de jouer leur jeu. Ils se sont ligué contre mois en me dénigrant. Ces gens qui passent leur temps à la prière dans les mosquées ne sont que des médisants et des négriers qui exploitent leurs artistes. Quand les artistes, les populations et les autorités du Mali sauront qui ils sont réellement, ce serait un début de solution à la piraterie. En ce moment des structures sérieuses pourront tirer leur épingle du jeu en assurant la production et la promotion des jeunes talents. Et je vais continuer à me battre pour que cela soit une réalité.

- La réalisation de l'Espace culture Moffou à Kalabancoro est-elle une concrétisation de cette volonté de se battre pour le rayonnement culturel du Mali ?
Evidemment ! Je vous ai dit au début de cet entretien que je ne me laisserai jamais abattre. Et rien ne pourra m'empêcher d'apporter ma modeste contribution à la construction du Mali. Moffou vise à favoriser les échanges culturels. Les artistes étrangers, de passage, peuvent y rencontrer leurs collègues maliens. Cela va permettre de promouvoir la musique malienne ici et de mieux l'exporter. C'est ainsi qu'en janvier prochain, j'ai carte blanche à la Maison de la musique à Paris, où je fais ce que je veux et j'y invite qui je veux, pour amener des jeunes artistes s'y produire et rencontrer la presse internationale. Il s'agit entre autres de Fati Kouyaté, des jeunes rappeurs et Alpha Diakité qui est le fils de mon regretté ami Sambou Diakité.

- Sur Moffou, vous avez réalisé un superbe duo avec Cesaria Evora (Yamore). Peut-on s'attendre à une pareille expérience avec des artistes ou cantatrices comme Kandia Kouyaté, Rokia Traoré, Djénéba Seck ou Oumou Sangaré ?
Je ne l'exclu pas parce que je suis toujours ouvert à ce genre d'expériences. Malheureusement, la politique des producteurs maliens a toujours été de diviser les artistes afin de mieux les exploiter. Ils n'encouragent personne à m'approcher de peur que je ne les révolte contre eux. Et les artistes, en majorité des analphabètes, ne savent pas situer leurs intérêts. C'est pourquoi ces pirates réussissent à nous diviser. Je suis sûr qu'unis, nous pouvons réussir de merveilleuses et surprenantes choses qui vont davantage rehausser l'image artistique et culturelle du Mali. Ce que je viens de réussir avec Mariétou Diabaté et Lassy (King Lassy Massassy, NDLR) n'est qu'un avant-goût de ce que les artistes maliens peuvent réaliser dans l'unité.

- Des projets dans l'immédiat ?
Qui, j'ai plein de projets mais je me garderais de les reveler parce j'ai constaté qu'ici une fois tu as une bonne initiative on se précipite pour se l'approprier. Même la presse n'échappe pas à cette piraterie intellectuelle. Je préfère donc me taire sur mes projets. J'entreprends à partir de ce début octobre une tournée internationale d'un mois.

- A quand un prochain album ?
Je l'envisage entre fin 2004 et début 2005.

-Votre mot de la fin ?
J'aime le Mali et j'adore mes fans à qui je souhaite beaucoup de courage pour contribuer au développement du pays. Tant qu'ils me soutiendront, je serais là et je ne vais jamais me lasser de leur concocter des belles mélodies. Avec leur soutien, je vais me battre pour l'épanouissement du Mali. Un patriote n'a pas besoin d'une quelconque reconnaissance pour se mettre au service du pays parce qu'il est conscient que plus il s'y investit, plus il s'épanouit.

Propos recueillis par Moussa Bolly